Intéressée, interpellée depuis de nombreuses années par ce texte faisant partie de l’ancien testament, j’ai entrepris un laborieux travail : broder Suaire, vingt-cinq versets (sur les deux cent vingt-trois que compte Paroles de Qohélet) sur un drap mesurant 224x293cm, à peu près.
Suaire pris comme une aire de sueur est une tentative d’extirper un texte, d’en déployer les versets pour qu’ils deviennent surface, à leur tour.
Conjuguer également les humeurs qui se sont déposées au fil du temps sur le drap, ces lambeaux rafistolés et la sueur elle-même par mes doigts déposée pendant ce travail. Et par là rendre compte de Hével , ce souffle, cette buée, cette/notre réalité passagère, vaine de peu d’importance : Hével havalim ou en latin Vanitas vanitatis, généralement traduit par Vanité des vanités, le refrain lancinant des Paroles de Qohélet.
Tandis que ces pièces appelées ironiquement Produits Dérivés veulent, elles, donner un volume aux mots.
J’ai extrait un mot du verset, l’ai brodé, encadré, installé dans une boîte.
Par cette «extraction», le mot devient lui-même objet, la broderie renforçant, par ce volume conféré, la notion d’objet. De la même façon l’encadrement, entre deux verres, ne peut être suspendu, il doit être posé, pris dans les mains, retourné pour en voir le verso, les sutures, le travail : objet. Et enfin, déposer le tout dans une boîte, avec fascicule, explications et même débris de fil, finalise la réification
PRODUITS DÉRIVÉS
Neuf pièces brodées sur lin 18x24cm
encadrées entre deux verres
insérées dans une boîte avec étiquette indiquant le verset dont le mot est extrait
et dont le couvercle contient : un fascicule des versets brodés sur Suaire, un texte de démarche et les résidus de fil.
2013
Ce qui m’attache aux Paroles de Qohélet est cette possibilité qui m’est offerte de travailler, malgré tout, sans faire oeuvre, chef d’oeuvre mais travailler : hével.
Sans raison sublime : peindre, broder, produire.
Oeuvre sans chef et même sans oeuvre : simplement un travail, un labeur gratuit.
Si «Ce qui fut cela sera/ce qui s’est fait se refera/Rien de nouveau/sous le soleil», alors dans ce rien, tout est possible puisque dès le début je sais que CE que je fais ne sera RIEN : évanescent.
M’atteler à ces paroles, les broder devient possible car je connais l’inanité de ce projet et j’en souligne la «vanité» par le gouffre entre le peu des moyens employés (tissu, fil, aiguilles) et les heures que ce travail exige. Broder «les yeux baissés» avec «un dévotieux respect des vieux usages ménagers».
D’autres lectures m’apportent quoi m’étayer et entrent en résonance et avec mon projet et avec le sens même du texte de Qohélet :
«Il y a quelque chose dans la manière de donner des formes qui se rapproche du rituel en tant que le rituel libère de la question du sens.»
Frédérique Ildefonse, Il y a des dieux.
L’artiste, Rieko Koga brode cette parole dans laquelle je me reconnais : «Je me suis aperçue que broder est un acte spirituel.»
Ainsi ce lâcher prise de l’écriture du copiste repris à mon compte pour la broderie et décrit par Michel Julien:
«[...]: s’attelant à l’ouvrage, l’écrivain fait voeu de s'assommer, doit trouver d’abord sa propre lassitude pour ne plus la quitter. Il lui faut embrasser le goût morose ; chaque écrit contient sa morne tonique, sa routine intrinsèque que le scribe reconnaît pas à pas, sur lesquelles il se moule, s’éteint en éveil. La bonne façon d’écriture - sa forme, sa cadence - réside tout entière dans ce premier mouvement d’abnégation, la manière supérieure du métier se noue dans l’épousaille de la monotonie.» Michel Julien, Esquisse d’un pendu.
PRODUITS DÉRIVÉS
Les boîtes
PRODUITS DÉRIVÉS
Boîtes ouvertes
PRODUITS DÉRIVÉS
Couvercles avec étiquettes tissées : hével havalim.
PRODUITS DÉRIVÉS
Couvercle et intérieur de boîte
PRODUITS DÉRIVÉS
Intérieur avec papier cristal recouvrant la pièce et étiquette sur laquelle est tapée le verset (machine à écrire).
PRODUITS DÉRIVÉS
Étiquette
PRODUITS DÉRIVÉS
Ouvert
Bon
Détail de la pièce brodée sur lin
18x24cm
2013
3,12
Rien n’est bon
je le sais
Que faire bon
et se réjouir
PRODUITS DÉRIVÉS
Intérieur du couvercle
PRODUIT DÉRIVÉS
Texte de démarche, fascicule des versets brodés sur Suaire, sachet contenant les résidus de fil.
PRODUITS DÉRIVÉS
VENT
Broderie sur lin
18x24cm
2013
1,6
Vers le sud vers le nord
le vent souffle
le vent tourne
et revient sur ses pas
(Collection particulière)
SOUVENIR
1,11
Tout s’oublie des choses passées
et s’oubliera des choses qui viennent
qui s’en iront sans souvenir
avec ceux qui seront les derniers
HÉVEL
2,11
Tout est hével
voilà tout est vain
et poursuite du vent
Rien ne reste sous le soleil
(Collection particulière)
FOU
2,16
L’éternité sans souvenir
prendra le sage et le fou
les jours passent tout s’oublie
le sage meurt comme l’idiot
(Collection particulière)
FIL
4,12
Seul tu seras vaincu
deux feraient face
triplé le fil
casse plus lentement
(Collection particulière)
VIVANT
9,4
En toute vie
l’espoir
mieux vaut un chien vivant
qu’un lion mort
(Collection particulière)
CECI CELA
Détail
11,6
Dès le matin sème la semence
jusqu’au soir ne laisse pas
reposer ta main
Tu ignores
ce qui réussira
ceci
cela
ou les deux à la fois
(Collection particulière)
ÇA
12,13
[...] Tu n’es que ça